Sur les terres de Jacques Champion à Chambonnières

Le Plessis-Feu-Aussoux (Seine-et-Marne)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur les terres de Jacques Champion à Chambonnières

portrait de Jacques Champion de Chambonnières

portrait de Jacques Champion de Chambonnières

 

    L’histoire de la musique française du Grand Siècle connaît nombre de rencontres privilégiées, et parfois même miraculeuses, entre un auteur et un instrument. Aux côtés du luthiste Denis Gaultier, de l’organiste François Roberday ou du violiste Sainte-Colombe, le claveciniste Jacques Champion de Chambonnières mérite une attention plus grande que celle qu’on lui porte aujourd’hui. Le compositeur porta son art à un haut degré de perfection et de raffinement. Ses contemporains ne s’y trompèrent point : il fut considéré à la fois comme le “dernier Maistre” du clavecin, et comme “la source de la belle maniere du toucher”.

 

clavecin

clavecin

 

    Chambonnières naquit à Paris en 1601 ou 1602. [...] Il est le descendant d’une lignée d’organistes et clavecinistes au service des rois de France. [...] Les trente premières années de la vie de Chambonnières sont mal connues. [...] Dès septembre 1611, il reçut de son père la survivance de la charge de “joueur d’espinette ordinaire de la Chambre de Sa Majesté”. Une déclaration notariée de 1631 apprend qu’il était à l’époque marié avec Marie Le Clerc, qui mourut avant le 16 décembre 1652, date du second mariage de Chambonnières, avec Marguerite Ferret. Il remplit progressivement son rôle de claveciniste du roi. Les comptes de la cour mentionnent en 1637 le nom de son père, le sien, et deux salaires ; puis, de 1640 à 1643, les deux noms, mais avec un seul salaire. À partir de 1644, deux ans après la mort de Jacques Champion, Chambonnières est seul répertorié comme “joueur d’épinette”.

 

    À l’âge de 35 ans, la réputation de virtuose et de compositeur de Chambonnières était déjà bien établie. À la suite du commentaire sur Thomas et Jacques Champion, Mersenne écrit :

 

    "apres avoir oüy le Clavecin touché par le sieur de Chanbonniere, [...] je n’en peux exprimer mon sentiment, qu’en disant qu’il ne faut plus rien entendre apres, soit qu’on desire les plus beaux chants & les belles parties de l’harmonie meslées ensemble, ou la beauté des mouvemens, le beau toucher, & la legerté, & la vitesse de la main jointe à une oreille tres-delicate, de sorte qu’on peut dire que cet Instrument a rencontré son dernier Maistre."

 

    En outre, son activité à la cour ne fut pas seulement celle d’un instrumentiste. Il participa aussi à plusieurs ballets comme danseur. [...]

 

    Au milieu du siècle, la notoriété de l’artiste était à son sommet en France et en Europe. Beaucoup de ses pièces de clavecin circulaient déjà à l’état de copies. Constantijn Huygens (1596-1687), à la fois poète, musicien, diplomate et scientifique, et son fils Christiaan (1629-1695), physicien, mathématicien et astronome, tous deux natifs de Hollande, aidèrent beaucoup à leur renommée. Constantijn fournit des pièces de Chambonnières à Johann Jacob Froberger vers 1649, avant la venue de ce dernier en France.

 

    À cette période, le 24 juillet 1650 ou 1651, se place le célèbre épisode avec les frères Couperin relaté tardivement, et uniquement, par Titon du Tillet dans Le Parnasse françois de 1732 :

 

    "Les trois freres Couperin étoient de Chaume, petite ville de Brie, assez proche de la Terre de Chambonniere. Ils jouoient du Violon, & les deux aînez réussissoient très-bien sur l’Orgue. Ces trois freres avec de leurs amis, aussi joueurs de Violon, firent partie un jour de la fête de M. de Chambonniere d’aller à son Château lui donner une Aubade : ils y arriverent, & se placerent à la porte de la Salle où Chambonniere étoit à table avec plusieurs Convives, gens d’esprit & ayant du goût pour la Musique. Le Maître de la maison fut surpris agréablement, de même que toute sa compagnie par la bonne Symphonie qui se fit entendre. Chambonniere pria les personnes qui l’executoient d’entrer dans la Salle, & leur demanda d’abord de qui étoit la composition des airs qu’ils avoient jouez : un d’entr’eux lui dit qu’elle étoit de Louis Couperin, qu’il lui présenta. Chambonniere fit aussi-tôt son compliment à Louis Couperin, & l’engagea avec tous ses camarades de se mettre à table ; il lui temoigna beaucoup d’amitié, & lui dit qu’un homme tel que lui n’étoit pas fait pour rester dans une province, & qu’il falloit absolument qu’il vînt avec lui à Paris ; Ce que Louis Couperin accepta avec plaisir. Chambonniere le produisit à Paris & à la Cour, où il fut goûté. [...]. On voulut même lui faire avoir la place de Musicien ordinaire de la chambre du Roi pour le Clavecin du vivant de Chambonniere qui en étoit pourvû ; mais il en remercia, disant qu’il ne deplaceroit pas son bienfaicteur."

 

    La renommée des concerts organisés par le claveciniste du roi a dû donner aux Couperin l’envie de se faire entendre de lui. D’ailleurs Chambonnières produisit Louis Couperin “à Paris et à la Cour” : il est probable que ce dernier joua pour l’ “Assemblé des honnestes curieux”. Le texte de Titon témoigne de la générosité et surtout de l’instinct très sûr de Chambonnières vis-à-vis de musiciens jeunes et inconnus. Il prouve aussi l’attitude noble et reconnaissante de Louis Couperin qui refusa de “déplacer” son protecteur. [...]

 

    Les tourments et les blessures d’amour-propre accablèrent bientôt Chambonnières. Le 14 février 1657, Etienne Richard, organiste de Saint-Jacques-de-la Boucherie, fut choisi à sa place pour enseigner le clavecin à Louis XIV. Des problèmes personnels s’ajoutèrent à cela. Le Parc civil du Châtelet de Paris prononçait le 13 juin 1657 une sentence de séparation de biens entre le musicien et sa femme, prudente et peut-être même inquiète de son bien prodigue époux. [...]

 

    D’où venait cette mauvaise fortune et quelle était cette disgrâce à la cour qui le privait de sa rente annuelle de mille écus ? Le violiste Jean Rousseau explique en 1688 que “M. de Chambonnières ne sçavoit pas accompagner, & que ce fut pour ce sujet qu’il fut obligé de se défaire de la charge qu’il avoit chez le Roy, & de s’en accomoder avec Monsieur d’Anglebert”. Cela est difficilement concevable de la part d’un grand compositeur de ce siècle. En revanche, la raison est peut-être qu’il ne voulait pas accompagner. Quelque années plus tard, Lecerf de La Vieville de Fresneuse dans sa Comparaison de la musique italienne et de la musique françoise (1704-1706) regrettait que “la Plûpart des jeunes gens” voulaient alors apprendre l’accompagnement : “Autrefois, les gens de qualité laissoient aux Musiciens de naissance et de profession le mêtier d’accompagner”. Chambonnières voulait faire “l’entendu” ; il considérait comme une élégance suprême de paraître un gentilhomme qui jouait du clavecin et qui composait pour son agrément. Ce désir de privilégier le personnage de “qualité” sur le musicien explique-t-il une sorte de rejet vis-à-vis de la basse continue ? Sans compter que, désormais, l’omniprésence de Jean-Baptiste Lully ne pouvait que ternir la popularité de Chambonnières. Celui-ci allait se confiner dans le rôle, certes primordial, d’accompagner les opéras, mais il n’allait plus jouir seul des applaudissemens des auditeurs. Plus tard, François Couperin allait aussi, par “amour-propre”, préférer “les Pièces à L’accompagnement” (L’Art de toucher le Clavecin, 1716/1717).

 

    D’autre part, en cette année 1662 qui vit Jean de La Fontaine être condamné pour usurpation de titres de noblesse, la disgrâce de Chambonnières ne s’explique-t-elle pas aussi par ses prétentions nobiliaires (“baron” ou “marquis” suivant les textes) avec lesquelles Louis XIV ne plaisantait guère ?

 

    Chambonnières vendit, le 23 octobre 1662, sa charge de “claveciniste de la Chambre” à Jean Henry d’Anglebert pour la somme de 2 000 livres dont 500 furent versées comptant. Son frère, avec lequel il partageait cette fonction depuis 1656, dut mourir peu de temps auparavant car son nom ne figure pas dans l’acte. Mais notre musicien bénéficiait encore de l’appui et de l’estime de certains nobles. […]

 

    La duchesse d’Anguien [Enghien] fut l’une de ses protectrices. Chambonnières lui dédia, en 1670, le Premier Livre de ses pièces de clavecin, lesquelles paraissaient enfin. En effet, ce ne fut que dans sa vieillesse, deux ans avant sa mort, qu’il se décida à donner au public : Les Pieces de Clavessin de Monsieur de Chambonnieres. Livre Premier et Livre Second (sans doute parus dans le même temps) somptueusement gravées. [...]

 

 couverture du Premier Livre des pièces de clavecin

couverture du Premier Livre des pièces de clavecin

 

    Ces deux Livres de Chambonnières eurent un vif succès et se trouvaient toujours disponibles soixante ans après la mort du compositeur. La date exacte de celle-ci n’est pas connue ; le 4 mai 1672 on dressait son Inventaire après décès. Il disparut à l’âge de soixante-dix ou soixante et onze ans. [...]

 

    Quelques années après la mort de l'artiste, en 1680, parut la Lettre de Mr. Le Gallois à Mademoiselle Regnault de Solier touchant la Musique, texte essentiel pour la connaissance de l’art du clavecin français du Grand Siècle. Le Gallois distingue deux façon de toucher l’instrument qui sont celle de Chambonnières et celle de Louis Couperin. Voici ce qu’il dit de Chambonnières :

 

    "La premiere est cette belle & agreable maniere dont feu Chambonnières se servoit. Tout le monde scait que cet illustre personnage a excellé par dessus les autres, tant à cause des pieces qu’il a composées, que parce qu’il a esté la source de la belle maniere du toucher, où il faisoit paroître un jeu brillant & un jeu coulant si bien conduit & et si bien ménagé l’un avec l’autre qu’il estoit impossible de mieux faire. On scait qu’outre la science & la netteté, il avoit une delicatesse de main que les autres n’avoient pas ; de sorte que s’il faisoit un accord, qu’un autre en même temps eût imité en faisant la même chose, on y trouvoit neanmoins une grande difference ; & la raison en est, comme j’ay dit, qu’il avoit une adresse & une maniere d’appliquer les doigts sur les touches qui estoit inconnüe aux autres. On scait aussi qu’il employoit toujoûrs dans ses pieces des chants naturels, tendres, & bien tournez, qu’on ne remarquoit point dans celle des autres ; & que toutes les fois qu’il joüoit une piece il y méloit de nouvelles beautés par des ports de voix, des passages, & des agrémens differens, avec des doubles cadences. Enfin il les diversifioit tellement par toutes ces beautez differentes qu’il y faisoit toûjours trouver de nouvelles graces. Et c’est ce qui a fait que chacun se l’est proposé à imiter comme un parfait modele."

 

    L’art musical de Chambonnières fut aristocratique au sens premier du terme, de celui qui se distingue par une action d’éclat. Qu’importe les railleries quant à ses prétentions nobiliaires, Chambonnières fut noble d’une autre façon : en jouant et en écrivant une musique au langage châtié. Il fit la synthèse des œuvres de ses aînés et allait surtout jeter les bases d’une manière de concevoir le clavecin qui allait devenir si chère à toute l’école française du Grand Siècle et des Lumières.

 

    Peut-être, à la façon de la persistance rétinienne, existe-il chez les meilleurs compositeurs des génération suivantes, parfois à leur insu, une persistance de cette noblesse instrumentale que Chambonnières aima éperdument.

 

Paris en 1607

Paris en 1607

 

lettre autographe de Jacques Champion de Chambonnières

lettre autographe de Jacques Champion de Chambonnières

 

Le Plessis-Feu-Aussoux carte de Cassini

Le Plessis-Feu-Aussoux carte de Cassini

 

 

 

 

 

Les 3 soeurs à Chambonnières mars 2011 Fernande, Edda et Jeanine

Les 3 soeurs à Chambonnières mars 2011
Fernande, Edda et Jeanine

 

Les 4 Mousquetaires à Chambonnières novembre 2012 Fernande, Edda, Antoine et Jeanine

Les 4 Mousquetaires à Chambonnières novembre 2012
Fernande, Edda, Antoine et Jeanine

 

 

Chambonnières aujourd'hui et hier

Chambonnières aujourd'hui et hier

 

 

 

 

 

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carte 1/16000 Minutes Etat-Major début 20e siècle

 

Musique : Chaconne en fa de Jacques Champion de Chambonnières

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