Stradivarius

écrit le 14 octobre 2019

 

Stradivarius

Stradivarius

 

Stradivarius

Arpège Crémone était un brave paysan comme on dit. Il n'était pas riche et pour se chauffer il allait abattre des arbres dans la forêt proche au prix de nombreux efforts pour remplir son bûcher. Il semble que tous n'étaient pas aussi vaillants que lui au travail. Dans son bûcher, justement, disparaissaient régulièrement des bûches. Un jour il n'hésita pas à en piéger une. Il l'a bourrée de dynamite et attendit tranquillement. Le résultat ne se fit pas attendre très longtemps. La cheminée du voisin vola en éclats et un ou deux pans de mur aussi. Pas si brave que cela l'Arpège : précipitamment il fut prompt à ramasser quelques affaires et détala rapidement de la maison que son père lui avait laissée à sa mort, poursuivi qu'il était par la maréchaussée. Le feu d'artifice qu'il avait occasionné avait fait beaucoup rire. Les Crémone, « un peu fêlés » disaient les gens du village  !

Il s'enfuit donc de son village et de son pays, l'Italie, et traversa les Alpes à pied, se gardant des gabelous toujours prêts à traquer les pauvres contrebandiers pour enfin arriver en France sans encombres. Ayant laissé les pauvres biens qu'il avait là-bas, sauf le crin-crin de son père , il se loua dans les fermes comme journalier et comme il était rude à la tâche, au fil des ans il amassa un peu d'argent et put acheter un lopin de terre et une vieille bicoque qu'il retapa de bric et de broc.

Arpège était un original, d'autres diront qu'il était un peu timbré. D'où lui venait ce prénom pour le moins curieux ? Son père qui s'appelait Octavius Crémone, pauvre homme sans le sou, était ce que l'on appelle un violoneux, il allait par les bois et les chemins été comme hiver, son violon sous le bras proposer ses services dans les fêtes communales ou les noces. Il gagnait trois francs six sous par ci par là, peu de chose mais il était heureux comme ça. S'appelant Crémone il avait toujours rêvé d'aller dans cette ville pour non pas obtenir mais approcher un stradivarius, violon créé par le célèbre luthier originaire de Crémone. Dans ses rêves les plus fous il espérait peut-être jouer de cet instrument fabuleux et même pour cela il était allé là-bas, toujours à pied. Ce n'était qu'un rêve mais lorsque son fils est né, il l'a appelé Arpège en souvenir de cette équipée.

Arpège, que les gens appelaient le musicien par dérision, n'avait aucune attirance pour la musique mais il avait gardé le violon. De loin en loin il montait au grenier où il l'avait remisé, prenait l'instrument en main et pensait à son enfance, il se rappelait d' Octavius, son père lorsqu'il le suivait sur les routes par tous les temps de village en village. Il n'en gardait pas un très bon souvenir se rappelant, lorsque la bise soufflait, du froid qui l'étreignait et de la faim parfois. Mais tout cela était du passé. Cependant il avait une tendresse pour cet homme qui l'avait gardé près de lui, l'élevant seul, sa femme partie trop vite, fauchée en pleine jeunesse. Maintenant à force de travail, Arpège avait quelques vaches, quelques poules et un vieux cheval qui l'aidait à labourer son lopin de terre. Cela l'occupait à plein temps.

Stradivarius

Stradivarius

Bientôt Arpège eut un fils, pourquoi l'appela-t-il Stradivarius  ? Lui qui n'aimait pas la musique ! Sa femme, son entourage, personne ne comprit. Mais Arpège Crémone n'en faisait qu'à sa tête. Mal lui en prit car le petit Stradivarius, que tout le monde appela très vite Stradi, se révéla être un enfant différent, plus têtu que son grand-père et aussi lunaire que son père. Stradi, dans sa petite enfance ne comprenait pas pourquoi on riait de son prénom. Il ne savait pas qu'il portait le nom d'un illustre luthier. Mais dès qu'il sut un peu lire et grâce à l'institutrice qui lui expliqua l'origine du mot, il comprit qu'il valait mieux ne pas rechercher la compagnie des autres enfants car il serait toujours raillé, moqué, voire écarté mais au fond de lui il était fier de porter cet illustre prénom.

Stradi n'ayant ni frère ni sœur devint très vite un petit sauvageon. Il passait son temps à parcourir les chemins, musait dans les bois, connaissait tous les insectes volants et rampants. L'école, il l'évitait soigneusement n'y allant que lorsqu'il faisait bien froid pour se réchauffer, pourtant il était intelligent. Mais il préférait garder les vaches, faute de mieux. Souvent celles-ci revenaient seules à la ferme et son père parti à sa recherche le trouvait le plus souvent endormi au pied des haies. Le garçon n'était pas mécontent de son sort, il grandissait, rêvassait et les années passaient. Il aidait un peu son père dans les travaux des champs, pas trop tout de même. Malgré son jeune âge Stradi pressentait que là, dans les champs, à garder les vaches, son avenir était ailleurs.

Les pluies d'automne arrivèrent et Stradi ce jour-là s'ennuyait ferme. Il ne pouvait mettre le nez dehors, il eut donc l'idée de monter au grenier afin d'échapper à une quelconque corvée. En effet son père le pressait de devenir un bon petit paysan, il avait 14 ans et il était grand temps de s'y mettre  ! Le garçon n'était pas du même avis ! Dans la mansarde allait-il trouver de quoi s'occuper  ? Son imagination débordante ferait le reste. Il allait trouver un trésor. Le trésor, il le vit tout de suite, il était là dans un coin, oublié depuis des années. Le violon d'Octavius, son grand-père  ! Un violon tout empoussiéré, abîmé, terni, il n'avait plus de cordes mais violon tout de même. D'où sortait donc cet instrument ? Son père ne lui en avait jamais parlé. Le garçon médusé n'avait jamais rien vu de pareil ! Sa forme harmonieuse, sa patine, son galbe, quelle merveille, ce fut le choc. Désormais cette rencontre allait déterminer l'orientation de sa vie. Comme vous le savez Stradi était têtu. Il décida derechef qu'il fabriquerait des instruments comme celui-là, plus beaux que celui-là.

Ne sachant rien de ce métier et où l'exercer, il alla trouver le curé du village connu pour son érudition. Celui-ci l'accueillit fraîchement car le garçon oubliait régulièrement d'aller à confesse mais le curé était brave et lui expliqua longuement la marche à suivre. Et la marche Stradi allait en faire beaucoup au cours des mois suivants. Il allait à son tour traverser les Alpes à pied comme son père mais en sens inverse  !

Stradivarius

Stradivarius

Comment convaincre ses parents de le laisser partir là où l'on faisait les violons, afin de se placer en apprentissage, sans la moindre idée de ce qui l'attendait, sans argent, sans connaissances. Son père était très mécontent, furieux même. Et voilà, son fils voulait prendre le même chemin que lui, certes pour une idée plus noble mais il saurait bien l'en empêcher. La vocation fut plus forte pour le jeune garçon et un beau matin à l'aube, ses parents endormis, il s'en alla, un petit baluchon sur le dos vers son destin. De chemins en guérets, travaillant ça et là pour le gîte et le couvert, il lui fallut une année pour arriver dans la ville ardemment espérée, Crémone bien entendu  !

Stradivarius n'eut pas de mal à comprendre la langue paternelle, il l'avait entendue maintes fois à la maison, en quelque sorte c'était aussi sa langue. Le curé lui avait donné une adresse, celle du Maître luthier le plus compétent, le plus recherché, un véritable artiste que les musiciens vénéraient tant le son de ses instruments était unique.  En entrant Stradi fut ébloui par cet atelier qui sentait bon le bois, la résine, des dizaines de violons pendus au plafond qui séchaient, des apprentis penchés sur leur travail, c'était là qu'il voulait apprendre, travailler.

- Que veux-tu lui demanda le maître des lieux ?
- Travailler ici Monsieur !
- Holà tout doux jeune homme !
- Comment t'appelles-tu mon garçon ?
- Stradivarius Crémone, Monsieur.
- Je t'ai demandé ton nom et ton prénom !
- Crémone Stradivarius, Monsieur.
- Bon je n'aime pas que l'on se moque de moi. Dehors !

Jeté dehors, Stradi enrageait. Encore une fois son prénom le desservait et il désespérait de pouvoir faire un jour ce métier. Tristement il reprit le chemin de la vieille masure où il dormait, une abominable chambrée où s'entassaient les pauvres hères de Crémone. Le lendemain matin, rangeant ses affaires, prêt pour une autre recherche, il vit au fond de son sac un papier qu'il avait complètement oublié. Son acte de naissance, il l'avait subtilisé lors de son départ de chez son père et avait pensé que ça pourrait toujours servir. Fou de joie, il allait prouver qu'il ne se moquait pas, que Stradivarius était bien son prénom. Il ne mit pas longtemps pour retrouver le chemin de l'atelier et à nouveau il revint à la charge en brandissant son papier. Le visage du Luthier s'éclaira et il ne put s'empêcher de rire bruyamment. Le garçon avait l'habitude.

- Avec un nom et un prénom comme ça, tu devrais faire un bon luthier...
- Je ne sais rien faire, Monsieur, mais j'ai très envie d'apprendre.
- C'était la réponse que j'attendais !

Stradi fut embauché et cette fois-ci ce fut grâce à son prénom ! Il travailla dur, ne comptant pas ses heures sur l'établi, se privant de tout, apprenant l'humilité, le respect de l'ouvrage bien fait, au fil du temps il apprit aussi les subtilités de ce métier magnifique et il devint un bon luthier très prisé dans ce milieu . Quelques années plus tard, fort de son aura il eut la chance, ce que n'avait pas eu son grand-père, d'approcher un Stradivarius, même de le toucher, d'entendre sa sonorité exceptionnelle. Et puis il se maria avec une belle italienne, il eut un fils. Comment pensez-vous qu'il l'appela  ? … Archet  ! … La boucle, ainsi, était bouclée.

Fernande de La Ferrière

signature

Stradivarius

Stradivarius

 

Stradivarius

Stradivarius

 

 

Musique : the chaconne from J.S.Bach Partita n° 2 in D Minor
Stradivari violin The Antonius de 1711 - 6,32 Mo - 7 mn 31 :


Vous n'entendez pas le son de la page : cliquez ici

 

 

Retour

Copyright © 2001-

La vraie vie (Get a life) avec Papytane et Mamytane, c'est sur papytane.com